Le bon moment

Le très beau poème « Kaïros » de Bernard jardin (ci-dessous) me fait réfléchir à ce  concept grec de Kaïros qui signifie « le bon moment » « l’occasion », « l’opportunité » (opportunitas en latin). Dans la culture grecque, Kaïros est le dieu du « bon moment », alors que Chronos est le dieu du temps. Il est représenté par un jeune homme chauve avec une touffe de cheveux qu’il faut saisir lorsqu’il passe. Ainsi, il faut savoir saisir les opportunités. La définition du Larousse encyclopédique nous l’enseigne «comme une allégorie de l’occasion favorable souvent représenté sous forme d’un éphèbe aux talons et aux épaules ailés.»

On peut intégrer ce concept aux enfants précoces. Il faudrait dans l’idéal leur apprendre à lire lorsque c’est « leur bon moment » pour eux, et non pas à six ans, « comme tout le monde ! » Dans le cas des enfants doués, ce n’est pas seulement une simple occasion favorable qui est délaissée, c’est l’enjeu d’une scolarité et d’une vie réussie qui est mis de côté, par méconnaissance.  A ce niveau, nous sommes encore actuellement dans « La caverne de Platon » !

pour relire les poèmes     cliquer sur    Kaïros      et        prière de zèbre

 

J’ajoute quelques extraits passionnants de l’Encyclopédie de l’Agora    http://agora.qc.ca/Dossiers/Kairos

«Je voudrais ajouter quelques mots sur la notion de kairos, dont il a été question plusieurs fois. C’est une notion spécifiquement grecque. Elle s’est développée dans une réflexion sur la pratique, pratique rhétorique, militaire, médicale. Le kairos, qu’on traduit en latin par opportunitas, en français par occasion, relève de la nature des choses: l’état par exemple des sentiments d’une foule, de la santé d’un patient; mais il relève aussi d’un savoir: la connaissance que le rhéteur a du moment où l’on peut faire basculer un auditoire, que le médecin a du moment où l’on doit donner le médicament pour renverser la situation. C’est aussi du temps, mais qui est hors de la durée; c’est l’instant fugitif mais essentiel, soumis au hasard mais lié à l’absolu. Ainsi, considérer la sensation comme le kairos est une vue très profondément grecque, parce que le kairos renvoie au cours du monde, au hasard, au déroulement imprévisible des choses, mais aussi à un savoir antérieur. Le kairos n’est rien sans le savoir qui permet de le reconnaître ; il n’est qu’événement parmi d’autres pour celui qui ne sait pas. Mais, pour celui qui sait, il est ce qui lui révèle son propre savoir, par le choc de la réalité qui se révèle comme signifiante. On ne peut être philosophe comme l’était Louis Guillermit, que si l’on s’est fait Grec, je veux dire si l’on a lu, médité, pensé les textes grecs, et non seulement les textes philosophiques.»

Jackie Pigeaud, Louis Guillermit, lecteur de Platon.

«Quelle est donc cette faculté, ce sens en nous qui nous rend plus ou moins apte à saisir l’occasion opportune? Pouvons-nous la développer? Si l’occasion opportune est un don des dieux, quelles sont les vertus qui nous disposent à accueillir ce don? Question cruciale, particulièrement à une époque où le choix est un absolu.

«S’il n’y a qu’une façon de faire le bien, il est bien des manières de le manquer. L’une d’elles consiste à faire trop tôt ou trop tard ce qu’il eût fallu faire plus tard ou plus tôt. Les Grecs ont un nom pour désigner cette coïncidence de l’action humaine et du temps, qui fait que le temps est propice et l’action bonne: c’est le Kairos, l’occasion favorable, le temps opportun.»

Pierre Aubenque, La prudence chez Aristote, Paris, PUF, 1963, pp. 96-97.) Cité par Richard Conte dans Qu’est-ce qu’une pratique?

« Dans un commentaire sur Pindare, Gilbert Romeyer Dherbey, souligne le caractère divin du kairos. «Le kairos, écrit-il, est un don, et le don est un kairos; l’intervention du dieu dans le sort des mortels en modifie la temporalité, et l’on comprend dès lors que l’un des sens de kairos ait désigné le moment fugace où tout se décide, où la durée prend un cours favorable à nos voeux. (…) L’irruption soudaine du kairos, c’est-à-dire d’un temps visité par le dieu, se marque en général chez Pindare, par l’apparition de la lumière. (…) Lorsque l’orage a bien enténébré la terre, soudain le vent faiblit, la pluie s’arrête, la nue s’entrouve – et c’est l’embellie, une clairière de lumière soudain, dans un lieu de désolation. L’homme a senti le passage du dieu, et tel est le kairos. (…) Le kairos est une seconde d’éternité. »

Gilbert Romeyer Dherbey, La parole archaïque, PUF, Paris 1999, p. 11-12.

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