Léo

Léo, son histoire.

Témoignage de Léo, 24 ans, qui a répondu à mes questions .

 

Léo, à quel âge s’est-on préoccupé de ta précocité, est-ce que tu as été testé et pourquoi ?

 J’ai été testé à  7 ans.

On me l’a dit, on m’a expliqué, on m’a dit qu’il ne fallait pas en parler trop, et c’est ce que j’ai fait.

Donc pourquoi,  parce que j’étais en décalage  par rapport  aux autres, même avant l’âge de 7 ans.  je dessinais bien aussi. Je dessine depuis toujours et j’ai toujours été d’un petit cran meilleur que mes camarades du même age dans ce domaine. Je me souviens aussi d’avoir souvent été assez complice avec mes différents profs de dessins. Sauf, étrangement, en primaire où le prof nous faisaient recopier des natures mortes d’un ennui affligeant (des pots de fleurs, des trucs comme ça). Du coup pour me distraire j’ajoutais discrètement dans mon dessin de petites bestioles au milieu des fleurs. Evidemment ça n’échappais pas au prof qui m’obligeait à les effacer.

Je ne sais pas si tout ça a vraiment un rapport avec la précocité…

 Comment s’est passée l’école primaire ?

Le primaire  j’ai vécu ça bien,  il y avait moins  de jugement qu’au collège, après.

J’habitais en banlieue  normale. J’ai de  bons souvenirs du primaire. Primaire pas de souci.

 

Comment as-tu appris à lire ?

Rien de vraiment particulier à en dire. J’ai appris en même temps que mes camarades, en CP. Quelques tentatives de m’apprendre à lire avant l’école primaire, à partir de petits panneaux écrits (il doit y avoir un nom pour ça). Mais ça n’est vraiment pas allé loin.

Par contre j’ai été fasciné par les livres presque dés la naissance. Par exemple, étant bébé je n’ai jamais déchiré ou colorié les pages des livres comme le font la plupart des enfants.  

Tu n’as pas  avancé de classe, donc tu étais à 7  ans  en  ce1.

Si  tu avais sauté de classe, est-ce que tu penses cela aurait été mieux pour toi ?

Non, je ne me suis pas posé la question.

Je n’étais pas TRES bon, mais pas non plus un cancre sur les cours, mais  je connaissais plein d’autres choses.  . J’étais passionné par tout un tas de choses, que je connaissais de fond en comble (le primaire, c’était ma période « dinosaures ») mais qui avaient toutes en commun de ne pas être au programme scolaire…

J’avais un petit groupe d’amis, je racontais des histoires

Une fois j’ai été convoqué chez la directrice,  pourtant j’étais sage, mais c’est parce que je faisais faire de la méditation aux autres donc ce n’était pas une attitude qui cadrait avec ceux  de mon âge.

Le collège pour moi a été une très  grosse déconvenue. Des résultats scolaires catastrophiques, aucun ami, des moqueries cruelles. Une catastrophe sur tout les plans. C’est en partie la raison pour laquelle j’ai été retiré du collège avant la fin de l’année. Dés le début de la 6

J’ai oublié de le dire, mais ça me parait important : mes parents ont extrêmement mal géré ces problèmes-là. Et je leur en ait voulu dés ces moments-là. Ils m’ont fait comprendre que c’était de ma faute si j’avais des problèmes, qu’il fallait que je corrige mon attitude etc … D’une certaine façon on peut se dire que c’était vrai. Mais ça n’était pas la chose à dire à un enfant de 11 ans. Je n’agissais pas mal, je me contentais d’être comme je suis ! Me dire que mon attitude était mauvaise, alors que je ne faisais de mal à personne, c’était faire peser sur de toutes petites épaules une culpabilité vraiment injuste. Imaginez : j’étais agressé de toutes parts et c’était moi qui agissais mal ! J’agissais mal en étant moi-même. J’étais mauvais par nature, quoi. Et c’était MES PARENTS, ceux en qui l’enfant a la confiance la plus absolue qui soit, qui me disaient ça ! Résultat : j’ai perdu confiance et me suis réfugié dans le mutisme et la dénégation. Et quant les problèmes ont recommencé, en 5eme, j’ai cessé de leur en parler.

J’ai été retiré du collège  à la fin  du 1er trimestre j’ai étudié au CNED où, contre toutes attentes, j’ai eu d’excellentes notes, les meilleures de ma scolarité peut-être.

On a voyagé autour du monde avec mes parents et mon frère, j’ai appris la géographie, on a voyagé en désert  d’Egypte, Bornéo, Italie, etc…

J’ai acquis une expérience, j’ai rencontré des cultures. cette expérience ça m’a vraiment ouvert l’esprit. Les souffrances du début de la 6e ont été oubliées. Je découvrais d’autres mondes et d’autres peuples totalement différents du mien. Cela a duré toute la fin de la 6 e.

 Avec ton frère, cela se passait bien ?

Oui, une relation normale entre frères.

Donc après ce grand voyage, tu reprends en 5e ?

Oui, la 5e  dans un autre collège,  personne  ne me connaissait.

[Ces milliers de ces petites méchancetés cruelles des gens ordinaires, celles que j’avais connues en 6e, ont recommencé. En pire, peut-être, mais surtout pendant plus de temps]  Cela a été très très pénible, c’est gravé  comme  l’année  qui m’a détruit. [Laissé des blessures très profondes, qu’il m’a fallu des années et des années pour arriver à refermer à peu près et qui m’handicapent encore aujourd’hui dans mon rapport aux autres.]

J’étais gai, plein de joie de vivre, et à cause de ça, j’ai eu des idées noires, un dégoût de l’humanité, j’ai appris que  les gens sont moches.   On ne devrait pas apprendre çà  à  12 ans. C’est quelque chose de terrible, d’être rendu coupable par ce que l’on est et non par ce que l’on fait.

 

Tu as parlé de ton voyage ?  Peut-être étaient-ils jaloux ?

Non, Je ne parlais pas de ce voyage

Mais je m’exprimais différemment je crois, je m’intéressais a un tas de trucs et je voulais communiquer. J’étais une bête curieuse pour eux.

Mais j’avais quand même des amis, j’étais un peu grande gueule.

On m’a maltraité, on m’a jeté des cailloux, on me rejetait.

Je me disais que j’étais un monstre,

 

La 5e  s’est  mal passée alors, et après ?

En 4e  on m’a inscrit dans un collège pour  précoces dans le privé.

J’ai remarqué qu’en tout début année j’ai de bonnes notes, et au bout d’un moment, ça baisse,  ça a toujours été comme ça. Peut-être si j’avais sauté des classes, peut-être cela aurait été mieux. Ça, franchement je n’en sais rien. Je pense que non, au fond. Je crains que ça n’ait aggravé encore mes relations avec les autres. Et puis, je n’ai jamais eut des notes suffisantes pour justifier de sauter une classe]

J’ai eu plusieurs professeur que j’appréciais, j’ai aimé l’émulation, je me suis fait des amis que j’ai encore ce sont d’ailleurs les plus anciens amis qui me restent. Pas forcément des précoces pas uniquement, mais quant même en grande majorité. 

C’était différent de ce que je m’imaginais.

Il y avait dans la classe des élèves très normaux

Cela m’a amené à être plus sociable, parce qu’avant j’étais timide avec des cotés autistes.

J’avais une place dans la classe. J’ai pansé mes plaies,  j’ai des souvenirs sympas. J’avais des passions, les dinosaures, j’ai eu ma période fourmis. Comme dit plus haut, j’ai toujours eut des passions, mais là j’avais la possibilité de les partager. Et puis de découvrir celles des autres aussi.

J’ai joué à des jeux de rôles, on inventait des choses, on racontait des histoires.

 2e.1e. terminale.

J’étais toujours dans le privé.

Cela ne s’est pas super bien passé,  pas la catastrophe mais je n’étais pas bien intégré.

J’ai été le dernier de ma classe en 2e et  j’ai redoublé, mais cela ne m’a pas embêté plus que ça. Les années scolaires les pires ont été la 6e, et la 2e.Les pires, au niveau des notes, s’entend.

Dès la première 2e  j’étais très  angoissé, très déprimé, je n’arrivais pas à travailler J’étais suivi par une psy, qui m’a filé des médicaments. Il n’y a pas eu que des mauvais moments cependant. C’est à peu près à ce moment-là que j’ai découvert le sexe (mais pas vraiment l’amour), avec une nana de deux ans mon aînée. Ça a vraiment beaucoup aidé à me libérer. Et puis c’est là que j’ai pris un peu de distance avec les études.

Après j’ai fait une 1e  L pourtant j’aimais bien les sciences. Mes différentes passions m’avaient depuis toujours destiné à faire des sciences. Je suis encore pas mal calé dans le domaine. Mais à la fin de la seconde, virage à 90°. Apparemment j’étais plutôt littéraire dans ma façon de penser. Ça ne m’a pas mal réussi, j’ai plutôt de bon souvenirs de la L et des notes pas mauvaises.

Tous mes amis faisaient des maths.

En fin de terminale  j’en avais marre du lycée, les études, ce  n’étaient pas mon souci.

L’école ne m’intéressait pas.

J’ai  eu le bac avec mention, donc c’était bien pour le peu de travail que j’avais  fourni.

C’était une période un peu poète, un peu philosophe je réfléchissais à  la méta physique, au monde,

J’ai toujours eu des pensées morbides. J’ai voulu mourir. J’ai dû prendre des antidépresseurs. .J’ai été déprimé  assez longtemps, presque 3 ans.

Apres le bac, j’ai fait une  prépa  artistique.

Dans mon lycée, j’étais le profil atypique pour eux, donc ils m’avaient conseillé ça, comme j’ai toujours bien dessiné.

C’est quoi exactement une prépa artistique ?

C’est un atelier préparatoire  à l’entrée aux Beaux Arts, on fait beaucoup de dessin.

Mais ça s’est mal passé (au niveau des relations avec les autres)et je croyais que c’était de ma faute.

J’ai appris  plein de choses artistiques et techniques, tout de même.

C’est une école très chère, il y avait des gens de la haute bourgeoisie, je ne me sentais pas dans mon milieu. Je n’ai pas eu les beaux arts,  j’étais toujours  déprimé (et ça m’a un peu empêché de m’investir suffisamment dans mon travail).

Finalement, en ce moment je suis dans une Fac  d’Arts Plastiques.

Cela m’a donné de la maturité, et je me sens mieux et je suis plus du tout déprimé, même. Je suis plein de force vitale. Je rie souvent.

Il faut que je me trouve un avenir professionnel

J’ai eu une conscience  politique à ce moment là, cela m’a

Je me révolte contre le monde, j’ai de la sympathie pour les gens qui se révoltent.

Je me suis intéressé au militantisme. Plus exactement : j’ai depuis très longtemps une sorte de « conscience politique », dans le sens d’un regard sur la façon dont fonctionne le monde et la nécessité de le changer (peut-être depuis la petite enfance. J’ai commencé à faire des rêves d’utopies depuis la   4e à peu près.). Réflexions qui sont devenues de plus en plus argumentées à mesure que mes propres connaissances progressaient. A la fac, j’ai expérimenté le militantisme. Et c’est ça qui m’a beaucoup épanoui. J’ai toujours été un enfant sage et là j’ai eu l’occasion de me révolter, physiquement. Je rêvais de tout bouleverser et là (à mon petit niveau) je l’ai fait. C’est un rapport au monde tout à fait différent : on est plus des choses de passages, on occupe. On s’approprie. On lutte. On est plus dans ce rôle de « tube digestif », de consommateur passif dans lequel la société nous place. C’est aussi un rapport humain différent : on tisse des liens très puissants avec ceux aux côtés de qui on a lutté. Après, j’aurais du mal à affirmer que je suis un vrai militant, car c’est un mot qui a une sonorité héroïque dans mon esprit et ce serait terriblement orgueilleux.  

Quel est ton projet professionnel ?

Pendant mes années de fac, j’ai passé du temps  à me chercher un style,  le projet je ne sais pas. Il n’y a pas vraiment de mots.. En art on nous demande de trouver notre « truc ». Notre « style », notre « patte ». Ce quelque chose qu’on pourrait faire toute notre vie et pour lequel on nous connaîtra. C’est ce que je n’ai pas trouvé à temps en prépa et qu’il m’a fallu trois ans de fac pour arriver enfin à le découvrir. A présent j’ai trouvé mon « truc ». Et ça n’est pas un mince pas.

J’ai des idées, je n’ai pas fait ça pour être prof, je cherche, je ne sais pas ce que je veux faire,

Je cherche un métier  dans lequel je peux mobiliser tout ce que je sais faire. Je voudrais « servir ». C’est à dire que mes capacités servent pleinement. Ne soient pas gâchées à être inutilisées ou mal employées. Mais c’est peut-être un rêve ce métier idéal. En tout cas je ne l’ai pas trouvé encore.

Sinon, en plus de ça je poursuis mon projet artistique dans l’espoir d’arriver à le vendre !

 J’ai remarqué quelque chose dans la société, c’est que les femmes intelligentes, elles le cachent, alors qu’elles sont très cultivées. Les femmes surdouées  sont plus complexées. Un homme se vantera dix fois plus qu’une femme qui aura deux fois, trois fois, quatre fois plus de culture que lui. Généralement (il y a des exceptions) les femmes intelligentes dissimulent leur intelligence comme quelque chose de honteux, qu’elles ne devraient pas avoir. Comme si c’était à l’homme d’avoir forcément le dessus pour ce qui est de l’intelligence. Et c’est bien triste ! Ça ne se fait pas d’être intelligente, on dirait !

 Est-ce que tu es d’accord avec J.S.Facchin lorsqu’elle parle d’un « autre rapport au monde » ?

Je suis d’accord avec  « avoir un autre rapport au monde », on pourrait dire ça, en tous cas, je vois que j’ai une autre façon d’apprendre. [Et une autre façon de ressentir aussi, profondément. J’ai l’impression d’être beaucoup plus empathique et beaucoup plus sensible. De vivre de façon totale de toutes petites choses.  

Et la pensée en arborescence ?

C’est quoi, ça ?

 

C’est le fait d’avoir plein de pensées dans la tête, des associations d’idées en même temps.

 

La pensée en arborescence, je ne sais pas, mais j’ai un ami qui est comme ça. Un peu comme sur wikipedia. Je voulais dire que mon ami décrit ça comme ça : « imaginez une page de wikipédia, où tout les liens vers les définitions des mots employés seraient ouverts et où tout les liens vers les définitions des mots employés dans les définitions seraient ouverts aussi. Voilà comment j’écrirais, spontanément ». J’ai exactement la même tendance dés que je cherche à expliquer quelque chose. Mais à mon avis cela a plutôt un rapport avec la façon dont fonctionne la pensée : Quant on parle, on emploie un langage, tout un tas de termes qui sont autant de conventions. Un mot n’est pas neutre, il a une signification qui est susceptible de dériver. Si on accepte pleinement la façon de penser de l’autre, on partage donc les mêmes significations sous-jacentes de ses mots, donc pas de problèmes. Mais si on a une pensée un peu différente (mais profondément), alors pour se faire comprendre il faut aussi expliciter « nos mots à nous » toutes les significations sous-jacentes qui supportent notre pensées, ainsi que les significations sous-jacentes derrière ces pensées etc etc …

Si je dis par exemple « il n’y a pas d’art dans l’art contemporain », cela pourra paraître un contre-sens absurde. Pour me faire comprendre, il faut que j’explique ce que j’entends par le mot « art » et le mot « art contemporain ». Et puis dans ma définition d’art, il faudra que j’explique ce que j’appelle « créativité » ou « vision », etc etc … Au final, la plus petite idée nécessite de mobiliser d’immenses racines. Peut-être est-ce cela qu’on appelle « une pensée en arborescence ». Dans ce cas, notre particularité ce serait de penser AVEC cette arborescence, d’en avoir (plus ou moins) conscience. Mais toute utilisation du langage repose (au moins de façon passive) sur une structure de ce type.

Voyez ? Pour répondre à la question tout ce qu’il a fallu remonter ?

Je sais que j’ai un humour  un peu  noir,  un peu particulier.

 

Avec tes parents, cela se passait bien ?

J’ai arrêté de parler de mes problèmes à mes parents  car ils ne comprenaient pas mes problèmes. Ils me conseillaient de me défendre, mais moi, j’étais non violent, je ne comprenais pas pourquoi  on m’embêtait. . Et je n’aime pas du tout l’injustice.

 

 

Merci beaucoup, Léo, pour cet entretien et nous avoir raconté ton histoire scolaire.

 

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