Chemin d’école

CM2

 J’étais en classe avec ma mère qui était donc institutrice. J’avais une interdiction, c’était de dire mes bonnes notes, il ne fallait pas se vanter ! Comme je n’avais que de bonnes notes…C’est forcément parce qu’on est l’enfant de l’enseignant !

Ce fameux CM2, j’ai été malade tout le premier trimestre, mais au final, j’étais la 4e de la classe. Mais ma mère m’a fait redoubler ce CM2!!!!!  Le prétexte était : « Ce n’est pas grave, elle a un an d’avance ! »  et  « elle n’a pas les bases du premier trimestre ».

D’habitude, on ne fait pas redoubler d’élève qui est 4e d’une classe.

 

Je n’avais pas bien pris conscience du dégât de ce redoublement injuste. Jusqu’à ce que je lise ce texte d’Arielle Adda, que j’ai lu en pleurant . Arielle Adda a mis les mots sur ce que je savais et ressentais confusément. Ce texte est écrit en termes choisis et tellement justes.

 

« Enfants doués non reconnus / non identifiés :
Conséquences à l’âge adulte »
Arielle ADDA

Aout 1989, 

Colloque AFEP Paris Sorbonne 1996.

 

« …Lui a l’impression d’être depuis longtemps en deuil : il a été idéaliste, comme nombre d’enfants doués, mais lucide aussi et ce sont deux caractéristiques qui ne font pas très bon ménage. Il lui a fallu s’endurcir pour supporter toutes les petites meurtrissures de la vie quotidienne. Envolés ses rêves secrets d’accomplissement prestigieux, disparu son bonheur, quand il découvrait un savoir nouveau, qui lui ouvrait des horizons jusque là insoupçonnés, anéantie son exaltation à l’idée de ce qu’il pourrait réaliser.
Ce deuil peut avoir débuté lors d’un redoublement considéré comme injuste, et qui n’est jamais justifié dans le cas des enfants doués. On ne peut imaginer le mal que va causer cette décision, vécue comme arbitraire. Comme le disent certains professeurs : « c’est bon de redoubler au moins une fois, cela n’a jamais fait de mal à personne et ça incite à mieux travailler et surtout à consolider les bases« , ces fameuses bases, qu’il n’a même pas vu passer, tant elles lui semblaient élémentaires. On ajoute : « il est jeune, il ne faut pas qu’il se sente trop sûr de lui« . Eh bien, ce redoublement a provoqué une blessure si profonde qu’elle n’a jamais pu cicatriser, quelque chose est mort à ce moment-là, une certaine confiance dans l’adulte, un espoir mis dans « l’Ecole », considérée comme un temple où les merveilles de la connaissance allaient être dispensées, une idéalisation des professeurs qui « savaient », qui ne pouvaient pas se tromper et qui ont décidé que cet élève-là n’était pas digne de passer dans la classe supérieure. Ce fut comme un rejet dans les ténèbres extérieures et l’enfant doué ne s’en est jamais remis. L’amertume lui a laissé un goût qui ne peut s’effacer. On lui a irrémédiablement volé une année qui lui manquera toujours et la plus brillante des réussites sociales ne parvient pas à faire disparaître ce souvenir encore douloureux, des décennies après…

…Dès ce moment, cette image devient si mauvaise,si négative, qu’il n’est plus possible de la reconstruire aisément. Il faudrait beaucoup d’amour et d’attention pour retrouver la trace de l’enfant d’autrefois, si vif et si imaginatif. Quand on évoque le devenir particulièrement dramatique des enfants doués, adonnés à la violence, à la difficulté de vivre, adoptant des conduites extrêmes, il s’agit souvent de ceux qui ont connu un tel parcours…

…Toutes les qualités des êtres doués ne peuvent disparaitre totalement; ils conservent leur rigueur d’analyse, leur justesse de jugement; et les relations n’en sont que plus ardues. Exigeants, jusqu’au perfectionnisme, passionnés,même quand ils n’en laissent rien paraître, d’une ironie critique qui affleure souvent, ils ne peuvent se contenter de relations médiocres. »

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