Voici le témoignage d’une femme de 44 ans. Elle a écrit la totalité du texte, elle nous livre ce qu’elle a vécu et ressenti de son enfance. Ce qui est dit est d’une grande force et nous montre à quel point ne pas comprendre ce qu’est la douance peut avoir des conséquences pour la vie entière. Je préviens le lecteur que certains passages sont éprouvants. C’est assez long mais quand vous aurez démarré la lecture, vous le lirez jusqu’au bout, happés par la justesse des mots.
Bleuenn, son histoire
Bon, je vais vous raconter l’histoire d’un lièvre qui se casse volontairement les pattes en croyant faire plaisir aux tortues. Car c’est malheureusement l’histoire de ma petite vie.
C’est d’ailleurs ainsi, un lièvre face aux tortues, que me décrivait mon père, incapable de prononcer le mot surdoué qui lui écorchait la bouche. Ce témoignage est décousu, je n’ai pas la force de le synthétiser: il est le fruit de divers mails avec Nadine qui tient ce site avec beaucoup de cœur. Il va un peu dans tous les sens, mais je n’ai pas la force de le travailler. Nadine souhaite garder la sincérité du premier jet. De mon côté, j’aurais aimé faire quelque chose de plus synthétique mais la souffrance du retour sur une vie gâchée m’en rend pour l’instant incapable. Alors, vous qui vous intéressez au sujet, vous aurez droit à des anecdotes décousues mais vraies et sincères et j’espère que malgré ce désordre vous pourrez en tirer quelque chose, sait-on jamais, à quelque chose gâchis est bon?
Bof. En tous cas voici:
Je vais essayer de faire un petit résumé, je n’arrive pas à m’en sortir et je crois bien qu’il est trop tard pour moi mais je voudrais vraiment que l’Education Nationale et la société reconnaissent toutes les différences. Mon histoire est intéressante car mon père était un parfait serviteur de l’Education Nationale et il m’a sacrifiée au nom de son idéologie. J’ai 44 ans et j’ai cessé d’être moi-même à l’âge de 11 ans. Je continue malgré tout de vivre mais je traîne ma croix tous les jours et je ferais beaucoup pour que cela n’arrive pas à d’autres. Comment faire comprendre que ce n’est pas de l’orgueil blessé mais un traumatisme identitaire puissant, celui de l’automutilation? Comment donner des faits précis (j’en passe pourtant plein) sans avoir l’air de se vanter, certains faits que je cite pourront passer pour un manque de modestie? Donc faire plus de mal que de bien à un problème qui a du mal à susciter de l’intérêt?
Ma première crainte est de m’étaler et de me laisser submerger par des détails et des émotions. Il me semble aussi qu’il y a un fond de culpabilité dû au fait que je n’ai jamais surmonté le traumatisme de ma jeunesse. Je me sens comme un disque (très) rayé. En fait je me sens ridicule à mon âge et indigne (je pense à tous ceux du tiers-monde qui ne se posent pas le 10° de nos problèmes). Seulement voilà, malgré ce jugement moral, c’est ainsi, et sans doute que la personne que je suis, ma véritable nature que j’ai essayé d’oublier dans la dépression, de tuer à coups de médicaments et d’alcool, n’en finit pas d’agoniser et refuse de mourir tout à fait. Il y a, vous l’aurez compris, la personne que je suis véritablement et celle que je donne à voir, y compris à moi-même. Cette dernière trouve du travail comme femme de ménage, l’autre sait qu’elle aurait pu être ethnologue ou linguiste ou psychiatre ou autre avec passion. Ce qui me paraît très grave et difficile à expliquer à des personnes qui ne sont pas sensibilisées au sujet dont nous parlons, c’est justement ce renoncement à la passion, ce deuil de soi-même qui fête la Toussaint tous les jours. Indépendamment de toute réussite extérieure c’est une histoire de (non)réalisation. N’avons-nous pas le droit d’être heureux, de donner et d’apporter notre modeste contribution au monde? Si je meurs demain qu’aurai-je fait? Que laisserai-je derrière moi? Quelques amis sincères qui m’aiment sans me comprendre et que j’aime en les comprenant un peu. C’est bien mais c’est tellement peu par rapport à ce que j’aurais pu donner. Quel gâchis ! Le destin des surdoués non reconnus me fait penser à celui des héros du secret de Broadback Mountain: des vies brisées, stérilisées à l’autel de la normalité.
Je voudrais bien aussi réussir à expliquer ce qui à mes propres yeux est difficile à croire: le fait que la destruction d’un jeune surdoué peut être totale et irrémédiable quel que soit son courage par la suite. J’insisterai là-dessus. Un ressort est définitivement cassé, il est au plus profond de l’âme quelque part dans une zone irréparable. Il ne vit pas sa vie, pourtant c’est bien la sienne. Il est son ombre, en deuil de lui-même. Sa vie est une assez mauvaise pièce jouée par des doublures. C’est à son ombre qu’on s’adresse et c’est elle qui répond, il a oublié le son de sa propre voix: qui pourrait l’entendre?
Le « bilan de ma scolarité » est un exercice difficile car n’ayant pas été reconnue il apparait que je me justifie et cherche à apporter des preuves de mon potentiel. Encore une fois des petits faits personnels n’ont-ils pas un intérêt limité?
Ce que je peux dire pour résumer et de façon plus générale, c’est une personne qui a conscience d’avoir un bon potentiel et se retrouve en échec peut le vivre comme un raz-de- marée. Est-ce de l’orgueil? Non, mais l’amour de la vie, la confiance en soi sont profondément affectés. Il y a autre chose également: le fait que l’on porte tout seul dans le cas d’une auto-destruction la responsabilité de ce qui s’est passé, dès lors comment s’aimer un minimum? En fait le système est profondément inadapté à nos besoins et inversement. J’aurais adoré un apprentissage où l’on me dise: « voilà nous allons aborder telle notion, faites des recherches de votre côté et nous ferons le point après ». J’aurais adoré avoir un précepteur. Que dire d’autre? La non compréhension de nos besoins affectifs et intellectuels est une maltraitance, un mépris vécus de façon très violente. Ces deux mots étant au sens propre: on traite mal, à côté; on prend mal, on prend son enfant pour un autre. La reconnaissance: je te connais tel que tu es et je te le fais savoir, l’amour: je t’aime tel que tu es sont essentiels pour démarrer dans la vie plus encore chez un jeune hypersensible. Dans un cas comme le mien il faut préciser que l’éducation était plus que sévère et ne reconnaissait pas le droit à l’expression des émotions primaires: la peur, la colère le chagrin étaient inacceptables, la joie devait être mesurée. C’est évidemment contre-nature, plus encore chez un enfant hyper émotif. Le drame de l’enfant hors norme c’est qu’il est assez grand pour exprimer des vérités qui sont prises pour des mots d’enfants, des besoins essentiels qui sont vus comme secondaires voire capricieux. (personnellement j’ai pris mon courage à 2 mains pour signifier mon désir de ne plus aller à l’école en fin de CP, le besoin de remplacer mon cadeau de Noel par de l’amour en CE2, la nécessité de faire du sport pour ne pas péter les plombs en 1°… peine perdue. quant à ma tentative de suicide elle s’est soldée par un « ah c’est malin on va avoir la honte à l’hôpital » maternel assez rageur). Ce qui me paraît grave c’est qu’un enfant hors norme n’est pas autorisé à donner or donner est essentiel pour lui. On ne peut donner sa mesure on ne peut donner à manger à son cerveau (je me prends de passion pour le breton en CM2 mais ma mère me retire la méthode pour que je ne prenne pas trop d’avance des cours d’initiation étant promis par la maîtresse…ils ne viendront jamais) au final une fois adulte sa propre nature est tellement déstructurée que même la générosité est atteinte: le cœur est toujours bon mais où l’on n’est pas assez solide pour être utile. Que dire d’autre qui me paraisse important? le non-dit et le déni sont des choses qui vous laissent sans armes. la résilience, j’en suis convaincue est plus facile face à une agression caractérisée, manifeste.Il est plus facile de se remettre d’un coup de revolver que d’une perfusion qui vous envoie une goutte de poison par jour. Le déni et le non-dit auxquels peut faire face un surdoué c’est une intraveineuse invisible difficile à localiser donc quasi impossible à arracher. J’ai pu faire face à peu près à des choses graves la maltraitance physique et émotionnelle d’une mère perverse jalouse et violente, mais je n’ai pu faire face au déni de la personne que j’aimais et qui m’aimait, mon père. Sa maltraitance, j’ai mis plus de 20 ans avant d’employer ce mot, est d’autant plus forte que je l’adorais elle est d’autant plus forte surtout qu’elle a touché de façon irrémédiable à mon identité. je peux me remettre d’avoir été battue, pas de ne pas avoir été capable de faire des études alors que c’était le sens de ma vie. Évidemment en relisant ces lignes je me pose des questions sur ma capacité de résilience. Mais comment expliquer que d’être encore en vie me semble déjà une victoire en soi, même si elle a un goût absurde cette victoire: je ne m’illusionne pas c’est surtout l’enveloppe corporelle qui reste debout.
les gens normaux pour qui tout est adapté n’ont pas conscience de leur privilège, s’ils savaient! Je les observe avec envie: ils ont ce confort qui leur permet même de cultiver leur pointe d’originalité. Demandez-leur cependant s’ils sont normaux : »non! » vous répondront-ils car ils ont peur que l’on confonde normal et banal. La norme pourtant ce n’est rien d’autre qu’une donnée statistique sur laquelle se construit une société la norme c’est une chose sur laquelle peuvent cracher les gens normaux comme les riches peuvent cracher sur l’argent; tous les égos du monde, tous les discours vachement rebelles, tous les tatouages, tous les concerts de hard-rock, tous les « moi je suis complètement différent, je mets du poivre dans ma confiture de fraise » ne pourraient rien y faire: c’est un privilège.
Je suis toujours émue par l’agressivité que déclenche la notion non pas de surdon qui est abstraite, mais de surdoué… incarnation d’une menace. C’est comme s’il elle renvoyait avec violence à ses propres « insuffisances » (qui n’en sont évidemment pas) ou à celle de ses enfants. Il y a aussi beaucoup d’ignorance. je ne sais pas dans quelle mesure ce n’est pas chez les gens reconnus comme intelligents qui ont fait de bonnes études et ont bien réussi qu’on ne trouve pas le plus grand rejet. Peut-être jalouse-t-on secrètement avec plus de force ce qui semble à sa portée? Un enfant surdoué si ce n’est pas le sien, c’est un être agaçant, irritant, à qui on clouerait bien le bec comme à un adulte même s’il l’on est éducateur ou instituteur. une personne normale subit la tension de la norme cela la fait tendre vers quelque chose. une personne anormale subit la pression de la norme, sans un minimum de conditions de soutien autour d’elle,, cela peut l’écraser. Voilà ce que je pense. Mais après tout quelle importance quand 99% des gens ne sont pas concernés? Je finirai par les paroles d’ « Ah ca ira », chanson d’une période décisive dans la pensée française, la Révolution:
« Celui qui s’élève on l’abaissera
Celui qui s’abaisse on l’élèvera. »
Tout y est…
Le bilan de ma scolarité
Intérieurement elle m’a paru interminable. J’ai eu l’impression que chaque année on consacrait entre un tiers et la moitié du temps à des révisions ( jusqu’en 2°). Avec le recul, deux ans de maternelle, 3 ans de primaire, 3 ans de collège m’auraient bien convenu. …bon c’est une impression. Extérieurement elle a effectivement été longue cette scolarité puisque j’ai eu mon bac à 20 ans. (2 première,2 terminale ) avoir mon bac à mon rythme aurait tout changé. Cela ne m’aurait pas épargné les aléas et souffrances de toute vie mais au moins aurais-je eu la preuve factuelle que je pouvais avoir confiance un minimum en moi. Là j’ai eu la preuve du contraire. Je suis arrivée au bac dépressive, me comportant de façon incohérente dans les épreuves, fumeuse, boulimique, alourdie de 15 kilos, cassée de toute joie de vivre et de toute curiosité intellectuelle, incapable de choisir une voie, angoissée à cette idée, incapable à jamais de rentrer dans un quelconque formatage de supporter la moindre contrainte, perdue, ne me reconnaissant pas, dépersonnalisée. Avec en prime cette pensée: « est-ce que j’ai rêvé ou est-ce que jai été intelligente autrefois? » plus grave: » Est-ce que je suis folle? » La seule explication que j’ai trouvée et que j’ai gardée des années est la suivante: « voilà c’est ainsi je suis née avec un vice d’auto-destruction ». et puis « ce doit-être mon hypersensibilité qui déforme les choses ». Je n’ai pas fait d’études. L’envie de m’y remettre sur le tard m’a souvent travaillée (j’y reviendrai) mais je m’en sens psychologiquement incapable. Chaque jour qui passe, j’ai l’impression de payer le prix de ce qui s’est passé.
Le paradoxe
J’étais une enfant très enthousiaste, aimant la vie, les autres, la nature, me passionnant et approfondissant les sujets d’études que je me choisissais, en parfaite santé. Le sel de la vie, c’était d’apprendre. Etudier était un plaisir, c’est là que j’exprimais le plus mon goût de la vie. Je n’ai pas pu faire d’études…Comment dit-on déjà à L’éducation Nationale? Ah oui: « la même chance pour tous »…Ah non, ils ont changé de slogan: «la même chance pour chacun »…
si je recoupe les dires de mon directeur d’école de CP et ceux de mon instit de CE2, je ne fais pas partie des 99% de la population ça n’a pas d’importance en soi mais ce qui est triste c’est que je fais partie …des 1% du bac C des années 80 qui n’ont pas fait d’études supérieures. Ce que j’espère c’est que de nos jours une enseignante qui se dirait « sur les 400 enfants que j’ai vu passer en 16 ans de carrière je n’en ai jamais vu de pareil » se sentirait le droit de faire quelque chose. Pareil pour un directeur d’école qui en a vu passer 750… je sais qu’on n’en est plus là mais je crois qu’il faut se battre très fort, la connerie surtout quand elle se pare d’idéologie est très résistante sa grande force: elle ne doute jamais. je prends le pari que dans 10 ans on entendra encore des choses absurdes.
Le fonctionnement quand ça va bien (au début de la vie…)
C’est super. Ça rentre comme dans du beurre pour reprendre l’expression d’un de mes profs. Non seulement ça rentre à la première explication mais c’est déjà compris avant la fin de la première explication. On anticipe sur la fin des phrases on capte au 1/4 de tour et c’est retenu pour toujours.
Les faits
le langage est parfaitement en place à 2 ans et 1/2 (grammaire et conjugaison précises et adultes). Je me livre à 4 ans à des réflexions (la sagesse, la vérité, la perception du temps, le mouvement, la durée leur lien etc) je demande à apprendre à lire en maternelle mon père fait la sourde oreille, c’est contre ses principes d’égalité. Je le tanne. il craque. J ai droit à une première leçon, tout l’alphabet.
une deuxième. tout se passe très bien jusqu’à la lettre « u », que je prends pour un « v ». s’en suit une dispute. résultat des courses: « ma fille, cela fait 30 ans que je sais lire, ce n’est tout de même pas toi qui vas m’apprendre à lire, puisque c’est comme ça tu attendras au CP comme tout le monde! » J’intègre bien l’interdit de cette éducation psycho-rigide et bien que j’aie des souvenirs de lecture en cours moyen, j’attends le CP comme tout le monde pour m’autoriser à lire.
en CP, je rentre de ma première composition trimestrielle catastrophée: je suis nulle j’ai tout raté. mes parents surpris, doutent. le directeur de l’école leur dira en fin d’année qu’il n’avait pas vu d’élève pareille depuis …la libération soit 30 ans plus tôt! pourtant je suis nulle j’ai tout raté.
en fin de CP je suis heureuse, je dis à mes parents, ce qu’ils s’empressent de prendre pour un mot d’enfant: » ça y est j’ai fini l’école, et bien oui: vous m’ avez dit qu’on allait à l’école pour apprendre à lire à écrire et à compter; je sais lire, écrire, compter je n’ai donc plus besoin d’aller à l’école » grosse déception devant leur réaction hilare: j’en ai pour des années…
en CE2 je suis avec une instit qui m’aime beaucoup. Elle est pourtant dans le moule: n’a-t-elle pas sorti, le jour de la rentrée, un laïus bien pensant qui me laisse perplexe sur Chantal une bonne élève avec un an d’avance que ses parents font redoubler parce qu’elle est seulement bonne et non très bonne? (je sens bien ce qui se joue et je suis mal à l’aise pour Chantal et pour la société). Mais elle m’aime bien, telle que je suis. Elle s’inquiète de mes relations, de mon émotivité, elle me regarde vraiment, elle me reconnait. Elle ne peut s’empêcher de parler de moi avec émotion, semble vouloir me protéger tiens c’est bizarre qu’il y a t il à protéger chez un premier de la classe qui a ses deux parents, enseignants de surcroît? Je crois qu’elle obéit à un instinct. je sais que quelque chose se joue dans son regard que je comprendrai plus tard. comment dire? elle a des cris du cœur en contradiction peut-être avec son idéologie mais en accord avec elle-même et il faut que ça sorte. je pense qu’elle m’ a tendu inconsciemment des perches. des années plus tard quand je me demanderai si j’ai rêvé que j’avais été intelligente moi la ratée, j’entendrai encore ses mots (j’ai une mémoire des mots très précise) qui me disent de façon peut-être indécente car publique, que j’ai des années d’avance en vocabulaire qu’en 16 ans de carrière elle n’a jamais vu un enfant écrire de la sorte étant « obligée », c’est son terme, de dépasser le 9/10 ( les mystères de l’Education Nationale de l’époque on ne met pas 10/10 à un enfant en récitation ni en rédaction cette note étant réservée …aux adultes! c’est logique, des fois qu’un écrivain ou un acteur professionnel ait envie de se retaper un CE2…)
Cette même année, mon père, Principal de Collège, prend sa pause-café à la maison un mercredi matin, il reste 10mn et me demande de prendre un papier et un crayon, j’obtempère. S’en suit une dictée. Il relève la copie. » C’est bien ce que je pensais tu as 20/20″. il repart…. Qu’est-ce que c’était? La dictée du brevet des collèges qui sanctionne le niveau d’orthographe d’élèves qui ont 6 ans de plus que moi…je me dis que quelque chose va peut-être changer, je ne sais quoi au juste ne me sentant pas vraiment de droits, mais non c’est normal, tout va bien, rien ne changera, à part mon orthographe qui n’aura pas cette même note 6 ans plus tard …
en CM1 CM2 là tout se joue, et c’est une autre affaire, moi qui ai tellement besoin d’amour et qui en ai déjà tellement peu de preuves à la maison je tombe sur une instit qui ne m’aime pas. Je la dérange; je suis de trop; trop en avance, trop passionnée, trop curieuse intellectuellement trop toujours meilleure partout, trop quoi ! à mon grand désespoir elle est la directrice d’école et s’arrange pour nous avoir 2 ans de suite… la deuxième année sonnera mon glas. Je finis par baisser les bras, je sens bien que je dérange. je sens déjà du non-dit familial, une comparaison sous-jacente avec les personnes de mon âge c’est comme si je faisais du mal malgré moi rien qu’en étant ce que je suis parce que je remets les autres en questions. A cette époque je ressens déjà une question télépathique du genre «mais quand est-ce qu’elle va enfin se planter quelque part » (manque de chance: je suis « multi-cartes » physiquement et intellectuellement) qui sera encore pire quelques années plus tard quand j’ai la bonne idée de devenir jolie (ça n’a pas duré) et d’avoir l’air à l’aise (idem). Ce qui est terrible c’est qu’elle émane de personnes qui par ailleurs m’aiment bien ou sont censées le faire. Oui ça c’est vraiment dur à vivre car moi quand j’aime les gens, je veux qu’ils soient au mieux de leur forme mais apparemment ce n’est pas réciproque.
Bref cette instit va cristalliser les choses. il m’arrive d’ouvrir un bouquin dans mon pupitre pendant qu’elle parle, car non cette année j’en ai marre, je n’en peux plus d’attendre que ça devienne intéressant ça fait 5 ans que je suis polie, elle le sera un peu moins quand elle s’en apercevra. Il se produit un évènement en apparence infime mais en réalité dévastateur chez moi: je décide de ne plus être première à la dernière compo trimestrielle de CM2 je ne perds que quelq ue points cela ne parait pas alarmant mais voilà: cela veut dire que je suis rentrée dans un fonctionnement pervers, auto-destructeur. c’est un signal d’alarme mais personne ne l’entend ( pire encore on a des actions chez « Quiès »). bien au contraire mon instit a l’air vraiment soulagée et pour tout dire ravie. mon amie qui est passée première a la grosse tête elle est extrêmement agressive quand je lui avoue que je n’ai pas fait au mieux. bon puisque ça semble arranger tout le monde alors la longue descente n’a qu’à commencer…
La conscience d’être différent
J’aimais beaucoup mes amies. Il ne me serait pas venu à l’esprit de me comparer à elles. J’étais la meilleure en tout factuellement mais il ne me serait pas venu à l’esprit l’idée de m’en vanter, ni même de m’y attarder, je n’avais aucun mérite on me posait une question par écrit et j’y répondais simplement. Je prenais mes amies pour ce qu’elles étaient des petites filles que j’aimais et qui m’aimaient. J’avais en revanche conscience que je ne pouvais tout partager avec elles: elles ne seraient pas restées des heures dans une bibliothèque alors on jouait au gendarmes et aux voleurs et après j’allais à ma bibliothèque. Je me souviens de la gêne que j’éprouvais devant les émissions de télé dites pour enfants telles Casimir. Je ressentais un malaise comme une honte et je me disais en substance « ah c’est comme ça que vous voyez les enfants? vous nous prenez pour des cons » . Mais mes amies et les sœurs de mes amies, bien plus âgées, adoraient… alors je regardais pour leur faire plaisir sans faire de commentaires.
je me prends humainement une grosse claque en CM2 lorsque j’avoue en récréation que j’ai fait en sorte de ne pas être première pour la première fois de ma vie: mes amies réagissent de façon violente. J’atterris. je ne les voyais pas comme des rivales mais elles si ! gros décalage. mon aveu les vexe profondément il est irrecevable pourtant il est vrai…
Un autre détail parmi d’autres qui me revient. Je reçois ma cousine qui est élève au collège, brillante en français. elle a une rédaction à faire pour la rentrée de Pâques et me supplie de l’aider, devant mon étonnement » je ne suis qu’en CE2″ elle insiste: « si c’est toi qui le fais je suis sûre d’avoir une meilleure note »! je trouve ça étrange, ça me contrarie mais j’obtempère: elle a une excellente note dont ses parents sont très fiers sans être au courant du subterfuge. les miens le sont mais trouvent ça normal…moi je me doute bien que je ne le suis pas mais bon, j’ai l’habitude.
Bon des anecdotes, j’en ai plein, je ne vais pas toutes les citer mais je m’en rappelle une autre. En cours de récré en 3°, un copain me voit les mains dans les poches, tout le monde révise le test national d’anglais de fin de collège: « tu révises pas? Ah oui c’est vrai t’as pas besoin toi ». J’aurais 98/100 sans réviser, du reste en anglais je ne fais qu’écouter mais ne me lasse pas car c’est de la musique, (96,5 mais je n’ai pas osé réclamer le point et demi oublié par la prof). La prof s’étonne des résultats d’une surdouée reconnue, un an d’avance, excellente et bosseuse, qui a…93.
La passion
tout est source de passion, l’histoire, les indiens d’Amérique, à 9 ans je connais par cœur et avec beaucoup de précision toutes les essences du grand et vieux parc sur lequel le collège de mon père est implanté j’adore les arbres, j’aurais autre chose sous les yeux il en serait de même. On me cherche partout à la fermeture des musées qui ennuient paraît-il les enfants…ben oui mais la vie des paysans de la creuse dans les années 50 au musée de Guéret j’adore.
Les résultats
J’ai joué le jeu pendant les premières années. 1° de la classe jusqu’en CM2. Félicitations du conseil de classe jusqu’en 5°. (très) bonne élève jusqu’en 3° avec déjà quelques signes apparents de régression. Irrégulière en 2° avec quelques coups d’éclats. Je commence déjà à déprimer et à me déconnecter vraiment. Tout ce qui est scolaire me dégoûte. Je ressens le besoin de m’éloigner d’une scolarité classique et tellement pesante et demande à faire une première sport-études ou artistique pour prendre un peu d’air, j’étouffe. Comme cela m’est refusé par mes parents, je choisis une filière scientifique dans le but de faire psychiatre étant déjà personnellement sensibilisée aux souffrances psychiques dont il me semble que la société n’a que faire. On me laisse passer en disant que je n’ai pas du tout travaillé mais que je suis douée. En première je refuse tout, n’apprends rien, sors ma console de jeu en interro de maths devant un prof navré mais impuissant. Ce qui aurait pu passer avec des matières littéraires où je peux vivre sur mon talent et mon oreille même distraite ne passe pas : les maths ça ne s’improvise pas, il faut au moins connaître les définitions de base: je redouble. Le bac de français est catastrophique je fais n’importe quoi, je le sais je refuse tout( même ma prof de piano qui veut me faire passer des concours nationaux s’arrache les cheveux). La terminale C se passe comme toujours depuis quelques années de façon très irrégulière. Le jour des épreuves je me coule toute seule. Je me rappelle avoir passé 2h30 sur une question à 1point …sans succès. Une force négative me submerge. Une force que je sens depuis des années et qui hurle « au secours! ».
Je vais au rattrapage. Là encore devant des profs médusés et chez qui je ressens un mélange de mépris et d’étonnement je fais n’importe quoi. Je refais donc une terminale. Je finis par avoir mon bac sur les rotules non sans avoir songé à partir, mon père me retenant avec dureté.
Le redoublement
Chez tout enfant cela laisse des blessures, mais chez un surdoué c’est une histoire de fou. c’est une contradiction impossible à gérer. il y a la conscience très nette qu’on serait plus à son niveau d’apprentissage avec quelques années d’avance et là on redouble. Le regard des autres change. les profs dont c’est pourtant le métier vous regardent comme redoublant. très peu vont au-delà. je me rappelle, redoublante de première la réflexion d’un camarade « mais tu as l’air vachement douée, comment ce fait-il que tu aies redoublé? » et la réponse d’un autre qui m’aimait bien: « à ton avis si elle était si douée pourquoi est-ce qu’elle aurait redoublé? » . Je n’en ai pas voulu à l’ami qui a répondu ça j’ai simplement pensé avec tristesse qu’il reprenait à son compte la pensée de la société. Sa réponse était imparable. les profs ou instit m’ont d’abord vue comme quelqu’un d’exceptionnel, puis comme quelqu’un de brillant, puis comme très bon, puis bon, puis qui pourrait bien faire en travaillant, puis qui pourrait assez bien faire (euh en travaillant beaucoup peut-être?) sans parler de ceux dont vous détruisez des inepties scientifiques (sciences physiques: avec le théorème ça marche, mais pas avec le sous-théorème non: euh.. t’as pas fait une faute de calcul M. Einstein?) mais qui vous prennent pour une débile…euh on parle pourtant de la même personne?
Le fonctionnement quand ça commence à déraper
quand le psychisme craque l’intelligence ne répond plus. Ou alors de façon inattendue. En première je faisais du grec ancien depuis 3 ans. Je n’avais pas bossé, et je l’avais apprise comme une langue vivante : en écoutant tout en remplissant mon livre de croquis car il était illustré de sculptures magnifiques. Total, beaucoup d’intuition mais pas de bases aussi solides qu’un bosseur scolaire. Il suffisait que la prof dise « bon je vous donne cette version mais elle est très difficile, ca m’étonnerait que vous réussissiez, c’est juste un test, ne vous étonnez pas si vous n’avez pas la même note que d’habitude, on verra à la prochaine», pour que je sente quelque chose en moi qui se réveille et que j’aie une excellente note, le reste de la classe se plantant. En maths en Terminale C j’avais une prof très brillante, agrégée, passionnante. Il suffisait qu’elle dise: « celui qui trouve cette réponse à un carambar car la question ne figure plus au programme c’est juste en truc en plus pour voir » pour que je trouve intuitivement la solution, en géométrie pure, très rapidement, en général j’étais la seule. Je raconte cela car je trouvais cela frappant : mon cerveau semblait se réveiller vraiment, je le voyais bien, sous l’effet du défi et du carambar deux choses ludiques débarrassées de toute pression juste pour le plaisir. Avais-je la meilleure moyenne dans ces deux matières? Non, loin de là mais je constatais que le fonctionnement réel de mon intelligence ne devenait possible que lorsqu’on me disait « c’est impossible » ah le grand pouvoir du « t’es pas cap »! cela ne m’empêchait pas de douter de mes neurones, moins efficaces avec des consignes normales. Simplement cela me frappait car c’était systématique. (j’ai du avoir 5/20 au bac mais j’ai mangé beaucoup de carambars…). En revanche quand il fallait rentrer dans un exercice scolaire comme celui que je détestais et dont je ressentais profondément le formatage intellectuel: la dissertation, j’étais perdue. Je sentais un décalage énorme entre la vitesse de ma pensée et celle de mon écriture. Lorsqu’une phrase s’achevait j’étais déjà passée à autre chose il me fallait donc réécrire cette phrase car elle était nuancée par l’avancée des idées. Il me paraissait insensé et impossible de classer les idées par ordre d’importance puisque tout me paraissait important. Je pouvais pinailler sans fin sur une seule phrase, incapable de lâcher du lest et de me satisfaire d’un compromis. Je trouvais cet exercice thèse, anti-thèse, synthèse, déconnecté de la réalité de la pensée, artificiel et sans rapport avec la matière. Le seul exercice que je trouvais en rapport avec la matière littéraire était le commentaire composé. Pourtant l’exercice roi scolairement c’était la dissertation. Ah bon c’est ça le français? C’était bien la peine d’avoir des poètes géniaux…
Ma vie d’adulte
Incapable de me laisser aimer, comment le pourrais-je moi qui me suis coupé la tête pour faire plaisir, je n’ai pas eu d’enfants alors que je les adore…beaucoup de choses me font souffrir dans le monde mais je ne me sens pas capable d’aider.
Je me sens incapable d’étudier, intellectuellement je n’ai rien fait.
j’ai l’impression que j’ai vécu ma vie comme un naufragé sur une planche au fil de l’eau je voudrais bien redresser la barre mais il ya longtemps qu’il n’y a plus de navire et je vois l’âge du capitaine qui s’accroit…à quel moment suis-je paix dans la vie? À la tombée de la nuit car je pourrai dormir et oublier demain sera un autre jour. Mais le lendemain c’est la même histoire. Des années de souffrance dont je n’ai pas envie de parler. Les chiffres parlent d’eux-mêmes: j’ai été heureuse en 1990. (circonstances exceptionnelles je vis en tribu kanaque) bon une année c’est mieux que rien. Heureusement que je l’ai vécue.
Comment je me suis vue
Comme quelqu’un qui avait eu un très bon cerveau étant petite mais qui avait perdu ses neurones. à ce propos, moi je donne ma main à couper (ma tête je ne peux pas c’est déjà fait!) que le potentiel, contrairement à ce qu’on dit, peut-être atteint par trop de souffrance. Comme quelqu’un qui n’a aucune intelligence de la vie. comme quelqu’un de très seul malgré de belles amitiés qui se pose manifestement des questions que la sagesse des autres ne se pose pas. Et malheureusement malgré du courage, cela je m’en accorde autant que de lâcheté, comme une personne profondément incapable de digérer et de cicatriser ce qui me pose beaucoup de questions et remet en cause le peu de bien que je peux penser de moi.
Mon père ce héros…de l’Education Nationale
La loi c’est la loi et c’est la même pour tous. Surdoué est un terme ridicule (c’en était un lui-même) qui renvoie à l’élitisme qui lui-même renvoie au nazisme. Mon père était très intelligent curieusement les seules fois où il était complètement idiot c’est quand il parlait d’éducation, ce qui m’a toujours fait dire que l’idéologie vient à bout de tous les neurones quand elle s’y met. Il était bon il est devenu maltraitant.
Sa fille doit faire comme les autres, il n’y a pas de raison. En même temps il parait qu’il est très fier de moi mais a peur d’avoir la grosse tête et évite donc de parler de moi.
Pendant un temps cependant, le décalage lui parait si fort qu’il songe sérieusement à contredire son idéologie. (je l’apprendrai des années après sa mort de la bouche de ma mère) mais cette dernière (l’idéologie pas ma mère qui paraît-il n’était pas contre) aura le dernier mot. L’argument imparable que j’ai encore entendu dernièrement chez une instit c’est qu’il ne faut pas faire sauter des classes à un enfant car cela le priverait de jeu et que le jeu est constructeur. l’enfer comme d’habitude est pavé de bonnes intentions et d’une profonde ignorance de la réalité. apprendre chez certains enfants est en effet le jeu par excellence celui dont on retire le plus de plaisir et de construction. mais bon, j’irai en enfer et la bien-pensance gardera ses ailes de plomb.
Quand je commence à déprimer au lycée et que je ne me reconnais plus intellectuellement voici « l’aide » que mon père (passionné par l’orientation selon ses dires!) m’a apportée :
« ma fille tu as été à l’école comme tout le monde. tu as donc appris, comme tout le monde, la fable du lièvre et de la tortue. mais tu n’en as pas tiré la leçon: tu as été le lièvre, à toi de savoir faire la tortue. » outre que j’apprends que je suis une sotte car je ne sais pas tirer les leçons des fables contrairement à tout le monde, on me confirme qu’il faudrait que je sois quelqu’un d’autre et que tout est sous ma seule responsabilité ! cela ne t’as pourtant pas échappé mon cher papa je me suis cassé les pattes je me sens très coupable d’être sur terre, et je n’aurai jamais de carapace…je note au passage que tu sais qui je suis même s’il te faut pour cela employer une image car ça n’engage à rien ce n’est qu’une image n’est-ce pas? je crois avec le recul qu’il a fallu de la force à mon cerveau pour ne pas sombrer dans la folie de ces informations contradictoires. entre parenthèses et de façon prémonitoire lorsque que j’ai appris cette fable je ne l’ai pas trouvée sage, je l’ai trouvée profondément cruelle et absurde, ce lièvre dont tout le monde se rit me mettait les larmes aux yeux….
vers 25 ans très déprimée consciente que je me prépare à une vie d’errances et qu’il faut peut-être surmonter le problème j’écris à la seule personne qui me connait vraiment selon moi, mon père. Je lui écris une lettre dans laquelle je lui fais part de mon intention très angoissée mais réelle de reprendre des études. Cette lettre, devinant l’agressivité d’une culpabilité parentale refoulée, je l’écris avec précaution en précisant bien qu’il n’y a aucun reproche mais un besoin de vérité pour pouvoir repartir dans la vie. Je lui demande s’il m’a aimée (moi qui l’adorais) et pourquoi il ne m’a pas aidée un peu, je lui demande si je suis folle ou si j’ai bien été surdouée. Je n’aurais jamais dû faire cela c’était mettre ma vie entre ses mains, ses grosses mains d’idéologue. la réponse m’a été fatale et a décidé de la suite de ma vie. Elle m’a mise KO, incapable de me relever pendant des années. Cela parait sûrement incompréhensible pour quelqu’un de normalement et solidement construit mais c’est vrai. Je l’ai reçue véritablement physiquement comme un coup en plein cœur j en ai encore la sensation. je n’étais pas surdouée (donc j’étais folle) le passé était le passé et il avait fait ce qu’il avait pu. Sans doute aurais-je dû éviter de mettre un gros mot « surdoué » dans ce courrier. Peut-être aurais-je du me cacher derrière La Fontaine? En tous cas c’est la seule fois où j’ai osé en parler. Avec le recul quelle aide pouvais-je attendre de quelqu’un qui s’écrie avec colère à un enfant de maternelle « tu attendras le CP comme tout le monde! » un petit enfant mérite-t-il une telle colère? Mon père est mort 4 ans plus tard. il aurait pourtant suffi d’un mot, un seul mais il ne serait jamais sorti de la bouche d’un historien de formation passionné par la Révolution Française. quelle aide pouvais-je attendre d’un père qui dit à son ado malheureuse qu’elle n’a qu’à faire la tortue? (la tortue n’en a pas l’r mais c’est de la torture…bon ça fait du bien un petit jeu de mot) il n’y a rien de pire que le déni. il fait perdre un temps fou, l’adjectif est juste, et précieux en terme de reconstruction. il arrive un temps où la reconstruction n’est plus possible. la blessure ne se referme pas avec les ans elle est plus profonde simplement on ne la voit plus la peau s’est refermée. elle suit son évolution à l’intérieur d’un gros hématome qui s’appelle le cœur.
Peut-être une seule phrase vous sera-t-elle utile? Moi je sais que dans ma vie certaines phrases ont compté alors que formulées autrement elles ne me faisaient pas d’effet.
Merci beaucoup Bleuenn, mais je vais livrer à mes lecteurs un peu plus qu’une seule phrase !
Avez-vous eu un test de QI à un moment de votre vie ?
Je n’ai jamais passé de test. Sincèrement je me demande si l’on peut quantifier l’intelligence de cette façon. Il paraît que cela quantifie un écart par rapport au reste de la population. Des preuves d’un écart très important par rapport aux gens de mon âge j’en ai eu plein étant jeune alors…quelle importance cela ne m’a fait que du mal.
Pensez vous que si votre avance intellectuelle avait été mieux prise en compte, vous auriez pu accomplir de grandes choses ?
L’accomplissement / la prise en compte de ma différence
comme je vous l’ai dit, mon avance n’a pas été mal prise en compte, elle n’a pas été prise en compte du tout, pire elle a été déniée, ce qui est encore plus ravageur psychologiquement « je sais, je sais que tu sais, je sais que tu sais que je sais, mais on va faire comme si on ne savait rien »… j’insiste car cela me parait important.
Votre question est difficile: aurais-je fait de grandes choses? Spontanément je dirais : »oui bien sûr car l’enfant que j’étais comprenait à demi-mot, avait une mémoire très solide, était passionnée par la connaissance, avait un gros cœur ». Dans l’idéal le but d’une éducation est d’élever un être jusqu’à ce qu’il atteigne son propre niveau. Dans le 1/3 monde élever son enfant pour qu’il atteigne sa taille physique programmée génétiquement est déjà une victoire. Je culpabilise de savoir que je souffre alors que certains sont prostitués, meurent de faim ou sont en prison pour leurs idées. Mais justement, si l’on m’avait laissé le droit d’être moi-même, je sais bien que j’aurais pu être utile. Croyez-vous que je puisse être utile, actuellement au chômage, rejetée par atypisme, non diplômée? C’est cela le plus gros gâchis, priver le monde de cerveaux, le monde en a bien besoin et la France qui aime bien donner des leçons, pourrait y réfléchir, elle qui a les moyens d’encourager l’intelligence de ses enfants. La France en finira-t-elle jamais de couper des têtes? Il me semble souvent que la pensée française est perverse, je repense souvent à cette phrase de Voltaire, un génie qui s’est fourvoyé dans la mode du théâtre et qui sans cela nous aurait livré beaucoup plus: « l’hypocrisie est l’hommage que le vice rend à la vertu ». Nous faisons semblant d’être vertueux,…nous coupons des têtes. Pour en revenir à ma petite personne, et à votre question, parler 50 langues ne m’aurait pas fait peur, défendre les langues menacées encore moins car c’est un devoir humain essentiel quoique totalement méprisé, mais cela n’a pu être mon chemin car j’ai du payer la taxe au surdon, la payer trop fort, la payer trop jeune.
Envisagez-vous vous concentrer sur des études aujourd’hui ?
la possibilité de reprendre des études
Franchement comment faire quand on a une méfiance allergique en l’éducation nationale?
Pensez-vous que votre potentiel soit toujours présent ?
La question du potentiel
comme je l’ai déjà écrit je pense qu’il a été atteint et j’ai passé la quasi totalité d’adulte à croire que mes neurones avaient disparu. Vers 35 ans cependant je fais 4 stages intensifs de breton (40h/semaine) l’apprentissage se passe pour moi dans des conditions idéales: pas d’autre enjeu que d’apprendre pour le plaisir avec des collègues et des profs sympas. Il m’arrive un truc incroyable: « mes bottes de 7 lieues » comme je les appelle, sont revenues, sensation étrange il me semble que j’apprends de plus en plus vite au fil des jours et à un moment donné ma vitesse me fait peur car j’ai l’impression de n’avoir pas le contrôle! cela me rassure d’un côté mais en même temps je me dis que c’est peut-être un accident, un réveil momentané de mon cerveau…je note avec amusement que je revis en accéléré les réactions des autres (rejet étrange d’un prof qui ne conçoit pas que je puisse ne faire qu’un seul stage niveau 1 alors qu’on en fait 3 ou 4 en moyenne, encouragements et compliments très forts d’autre part, je dois dire que j’ai entendu le mot surdouée) mais cette fois-ci j’ai le recul d’une adulte tout cela n’ a guère d’importance. Une autre situation, un consours, va me faire comprendre qu’il me reste suffisamment de neurones pour aller très vite (avaler en 2 mois et demi un programme d’un an) mais que je suis incapable de me plier au formatage.
Que vous dire d’autre? Ce n’est pas intellectuellement mais psychologiquement que je me sens incapable de reprendre des études. Je prends mon courage à 2 mains et m’inscris en fac d’histoire par correspondance il y a 2 ans. à la première marque d’illogisme de la part du système j’envoie tout promener. Le seul devoir que je remplis en un jour est un devoir de grec ancien dont les phrases de version ne me posent pas de problème bien que je n’ai pas étudié cette matière depuis 25 ans…
En conclusion, pour répondre à votre question honnêtement je suis obligée encore une fois d’en passer par des faits précis qui donnent tort à mon impression première, à savoir que mes neurones ne fonctionnent plus comme avant. Comment savoir cependant? Le même potentiel dans de bonnes conditions à savoir dans des conditions qui l’auraient laissé s’exprimer dans sa jeunesse se serait certainement entretenu et réalisé, mon cerveau s’en serait mieux porté, se serait aiguisé dans le travail. Je pense sincèrement qu’il a été atteint par trop de souffrance mais je sais aussi qu’il en reste visiblement suffisamment pour raisonner. Simplement qu’en faire? il semble affamé et je n’ai d’autre nourriture à lui apporter qu’une introspection.
Ce mal qui s’empare de vous enfant, vous êtes trop jeune pour l’affronter, vous faites donc comme vous pouvez, mais une fois que le mal est fait c’est quasiment impossible d’y remédier car les diplômes conditionnent nos existences d’occidentaux, or dans un cas comme le mien, d’auto-décapitation, l’école commence à être un peu intéressante en 1° c’est à dire qu’elle commence à vous donner à manger quand vous êtes déjà devenue anorexique et rebelle au système : il est trop tard. à un âge où vous êtes censé vous construire vous êtes déjà détruit. D’où une vie d’errance avec une allergie foncière à ce pour quoi vous êtes fait : l’étude, c’est à dire les études.
En voulez vous plus au système ou à vos parents et plus à votre père ?
En vouloir est-ce le bon mot? Disons que c’est la faute à pas de chance, je ne suis ni née dans la bonne famille ni dans le bon pays ni au bon moment du point de vue d’une anormalité intellectuelle et émotive. Spontanément, dans mon histoire, j’en veux plus à l’idéologie. Mon père évidemment était victime de cette idéologie dominante mais je crois aussi qu’il y avait une énorme part de narcissisme en lui, c’est d’ailleurs pour cela que l’idéologie pouvait avoir prise: « je serai parfait, j’apporterai à mes idées la preuve que je les soutiens jusqu’au bout et que je suis irréprochable, cette preuve irréfutable sera le sacrifice de ma fille ». (De toute façon pourquoi avoir des états d’âme, une intelligence réussit toujours) …votre question est difficile, le même père médecin n’aurait sans doute pas vu d’ombrage à ce que j’aie mon bac à 14 ou 15 ans. tout ce que je sais c’est que de tous temps, il y a eu des parents qui aimaient leurs enfants plus qu’eux-mêmes ou que leur confort (cf « ordinary people » ou « Billy Elliot »). Donc finalement, pour votre réponse, je crois que c’est mon père, la personne que j’aimais le plus au monde, qui porte malgré tout le plus de responsabilité car il était au cœur du système et si le système n’avait pas d’amour, lui aurait pu en avoir. Car pour finir c’est une question d’amour: aimer l’autre tel qu’il est dans sa différence, aussi dérangeante soit-elle, et lui laisser le droit de vivre son destin. Le sacrifice d’un enfant surdoué, s’il est volontaire, est inutile. La norme ne s’en porte pas mieux car même si cela la rassure momentanément elle aura toujours besoin d’écouter du Mozart. C’est paradoxal et c’est absurde.
UNE REFLEXION
Par ailleurs, je voudrais aussi dire que je ne prends plus d’antidépresseurs depuis que j’ai fait pleinement le deuil de mes parents et que donc, ce faisant, j’ai remis un mot tabou sur mon problème de fond. Le mal de vivre qui ne m’a pas quitté depuis ma première dépression à 16 ans, ce mal de vivre que les médecins n’arrivaient pas à m’aider à vaincre, c’est le mal de ne pas vivre sa vie. On fait le diagnostic d’une dépression, le mal de vivre du surdoué c’est en fait le Canada Dry de la dépression. Mêmes symptômes, même puissance, mêmes conséquences mais ne nécessitant pas les mêmes remèdes, la même approche. passer à côté des caractéristiques émotives et intellectuelles d’une personne à haut potentiel c’est passer à côté de son mal-être et donc de son bien-être sa « guérison ». Voyez-vous cela fait presque 30 ans que je me bats, à 16 ans j’ai dû chercher seule dans un dictionnaire les mots « dépersonnalisation » (une intuition de langage) et dépression (un mot maternel sans autre explication). Une force en moi me pousse à ne pas abandonner tout à fait et je crois que si je n’ai plus besoin de cachets c’est parce que je m’autorise à employer un gros mot, ce mot qui écorchait le bouche de mon père: surdouée, c’est à dire « ni tout à fait la même ni tout à fait une autre » pour reprendre Verlaine….