« Quand on sait, on se tait ! »

Pour poursuivre sur l’article précédent , voici le témoignage de Catherine Pinder, professeur de Français au Lycée Michelet. Au moins, ce témoignage n’est pas négatif, comme on en lit top souvent au sujet des enfants surdoués. Même si selon moi, les classes IEP  ne me paraissent pas indispensables, sauf si on ne peut faire autrement.

J’ai vécu exactement la même chose, en cinquième, la prof de Maths m’ayant demandé de ne plus répondre…

 

il est issu d’un texte ancien ,écrit par Monique Binda, ancienne présidente de ANPEIP et A Giordan. intitulé  « Ce qu’il faut dénoncer…par M. Binda et A. Giordan »

« Pour preuve, ce témoignage de Catherine PINDER, enseignante Lycée Michelet,

(extrait du bulletin ANPEIP 1989).

« MERCI ! » « Quand on sait, on se tait ! »

C’est sans doute cette phrase prononcée par un enseignant, qui a suscité chez moi le désir de m’occuper d’enfants intellectuellement précoces. Elle avait réveillé le vieux souvenir, endormi au fond de ma mémoire, d’un jour de classe (j’étais en

9ème – CE2 actuel) où ayant affirmé à la maîtresse que Vinci appartenait au quattrocento, je m’étais entendu répondre: « Tu ne peux pas savoir cela ! »

L’injustice absolue : il y a donc un âge pour savoir certaines choses, un âge où l’on “doit” ignorer ? La confiance qui chancelle : le professeur en qui on a confiance et qui, tout à coup, vous rejette, parce que l’on sait. Paradoxe inacceptable qui fait douter l’enfant, entier dans ses affections, de l’utilité de l’école. Commence alors la dérive.

Première solution : l’enfant s’adapte et se « médiocrise » pour être conforme à ce que l’on attend de lui (certains m’ont avoué avoir fait exprès des fautes d’orthographe pour que l’on s’intéresse à eux), parce qu’il a besoin d’être aimé.

Deuxième solution : l’enfant se dissipe parce que le savoir est “ailleurs”.

Ces deux solutions sont bien évidemment inacceptables.

D’autre part, comment un enseignant peut-il gérer une classe de 25 élèves, dont l’un seulement est intellectuellement précoce ? Là encore, deux solutions s’offrent à lui.

Ou bien, il laisse cet enfant s’exprimer à sa mesure, c’est-à-dire répondre toujours avant les autres à toutes les questions et il frustre les 24 autres. Ou bien, il laisse les autres s’exprimer en priorité et frustre alors celui qui est intellectuellement précoce. Dilemme insoluble !

Voilà pourquoi les classes Intellectuellement Précoces pour Enfants me paraissent indispensables. Elles permettent à ces enfants d’évoluer à leur rythme (rapide !), de s’épanouir, d’être heureux. Voilà pourquoi, depuis 8 ans, elles me passionnent.

Je voudrais donc aujourd’hui dire MERCI à ces enfants.

Merci parce que chaque cours est une fête grâce à eux. Une fête du savoir, de la découverte, du plaisir d’apprendre et de jouer avec les mots.

Qu’il s’agisse de grammaire ou de littérature, leur capacité d’analyse me stupéfie.

Quelques rapides anecdotes peuvent donner une idée de l’intelligence de leurs définitions. Ainsi l’un d’eux m’a défini les pronoms : « ce sont les employés par intérim du nom ». J’avoue que n’y avais pas pensé ; la perfection de la définition m’a laissé pantoise.

Cette année en 6ème, en comparant les deux éducations de Gargantua (Rabelais les a enchantés) ; celle des précepteurs solistes, et celle, moderne, de Ponocrates, un élève a fait remarquer que dans la première, le vocabulaire de Rabelais était beaucoup plus trivial, moins recherché que dans la seconde, et donc qu’elle correspondait aux idées développées (il est des élèves de seconde qui ne le perçoivent pas encore !).

Nous en sommes, ce mois-ci, à la quatorzième fiche de lecture de l’année, et nous avons atteint le sommet de la jubilation avec “Cyrano”. Lors du dénouement, quelle ne fut pas ma surprise de voir la moitié de ma classe en pleurs, révoltée par l’injustice de cette vie gâchée (ce sont d’ailleurs les garçons qui pleuraient à gros bouillons !). Il m’a fallu consoler les chagrins causés par des mots vieux de cent ans, qui sonnaient “vrai” (Heureusement, l’an prochain, le Cid finira bien !).

J’ai prévu pour la séance de récitation hebdomadaire (il me paraît indispensable d’apprendre une douzaine de vers par semaine), un faux nez, un feutre et une épée, mais j’éprouve une certaine crainte : emportés par le “panache” ne vont-il pas se laisser choir, “blessés à mort” par la poutre perfide?

Prenons le risque. Inutile donc de préciser combien sont vivants les cours de français avec ces enfants. Et combien est grande leur imagination!

Dernier sujet de rédaction “décrire un objet banal, utile, et considéré comme laid, de façon poétique”. Et bien, le saviez-vous ? « Il y a dans chaque maison deux balais. Un que l’on mouille et que l’on souille après un mariage forcé avec la serpillière, l’autre que l’on promène pour lui faire rassembler le troupeau de moutons » (sic).

« Les pylônes électriques, ils élancent fièrement leur structure métallique vers les cieux, la tête dans les nuages, ils flirtent avec le soleil.»

« Les poubelles ? Sentinelles vigilantes de nos villes, ventrues, trapues elles avalent nos déchets, et si elles saturent, nous le voyons vite, elles régurgitent ! »

Je pourrais continuer longtemps mais il faut bien conclure…? Je leur dirais donc tout simplement MERCI. Merci pour leur gaieté, leur humour! Merci pour leur inventivité, leur audace. Merci pour cette pratique du gai savoir!

Merci à ces enfants qui me permettent de pratiquer un métier de jouvence. »  Catherine Pinder

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